vendredi 26 avril 2013

Hommage: Mohamed Kacimi, le peintre de l’humain


Mohamed Kacimi est le peintre de l’éclat, de l’amour, de la passion, de l’oubli, de la mémoire, du pardon et de la colère. Il était l’une des voix picturales les plus fortes dans les annales des Arts plastiques au Maroc. C’était un homme simple, généreux, discret, qui a laissé le temps imprimer sur son œuvre une teinte d’éternité.  





Un matin chez Kacimi, quelques semaines avant sa mort.  C’était à Temara où il avait élu domicile. Le bonhomme avait son visage rayonnant de générosité qui  accueillait tout le monde avec le même bonheur. La rencontre de l’autre était pour lui primordiale.  Tout respirait le peintre et l’artiste. Un véritable poète des livres, des coupures de presse, des esquisses donnaient à l’espace un air de déjà vu. Un aspect familier qui nous fait sentir qu’on était chez soi. Avec le temps, nous avons appris que ce n’étaient pas seulement les choses et leur appropriation de l’espace qui donnaient cette belle impression, mais l’homme qui habitait ces objets. Kacimi est de ceux qui traversent nos vies et nous laissent une gerbe de miel qui distille ses volutes innocentes dans notre sang. On avait échangé des mots sur la simplicité de l’être, sur l’amour des autres, le sens de la liberté. Kacimi avait laissé échapper une phrase qui  rappelle un autre grand peintre à Georges Braque : “nous traversons le monde à la fois en silence et avec un grand éclat”.  Kacimi avait pris place, le geste posé qui parcourt l’air comme au ralenti, un port de tête d’une extrême humilité, un regard d’une douceur d’un autre âge.

Le peintre de l’Homme

C’était sa présence qui disait ces mots. Un corps et une allure s’étaient substitués aux phrases. Silence et éclat de vie. Pour lui ; qui était aussi grand poète, l’homme doit célébrer son semblable, l’homme toujours debout, en permanence, refusant de plier l’échine.  Et toute sa peinture est un paysage où se tissent des vies humaines, des révoltes, des soumissions, des exagérations, des coups, des éraflures, des blessures, des scalps qui portent en tribut toute la vulnérabilité humaine. Jamais chez Kacimi l’homme n’a  été saisi dans un moment de faiblesse négative. Jamais chez lui la tension qui préside aux rapports de l’Etre et de son espace de vie ne sont réduits aux contingences résiduelles. Il prend la signification du chemin de la vie dans son sens le plus présocratique. Souvent ses grands formats, avec ses silhouettes ancrées dans l’âge du temps, rappellent tel ou tel fragment d’Héraclite d’Éphèse, qui se fait l’écho de cette prophétie de Hölderlin : « l’homme doit habiter poétiquement la terre ». Kacimi ne le trace pas en lignes de braises sur le fond tumultueux de ses toiles ni sur les pages chargées de ses poèmes, mais il a essayé de le vivre. 


Rage intacte

Une image nous reviendra toujours sur cette unité tant voulue dans l’oeuvre de Kacimi. Un jour, le peintre avait accroché des tissus colorés par l’azur des jours, sur les parois des falaises de la Harhoura.  C’est cette universalité, à la fois poétique, métaphysique et philosophique, qui rend le travail de Kacimi si enraciné dans nos vies. Si sa peinture est un haut témoignage de la force de l’Etre, elle est aussi une rage qui ne dit pas sa colère. Mais on sent que cette courbe humaine qui va au-delà des contours de la toile restera à jamais en colère, jusqu’au bout de la nuit. Elle déversera sa bile en la transmuant en art, en beauté. Comme ses teintes rougeâtres qui viennent délimiter sans le couper l’espace où l’homme de Kacimi décide de faire un pas.  Comment est-il possible de rester cloué à un endroit sans faire partir le monde en mille éclats ? Mais c’est fait, rétorque le poète. Et à chaque instant, l’un de nous fait un pas de géant dans ce monde où la lumière n’est qu’intérieure. Mais est-ce suffisant de mener une course dans les tripes, de garder son haleine de marathonien ajournée pour des temps immémoriaux ? Non, elle est déployée dans le grand large des instants comme une rose dans un désert de sable noir…
 Avec le temps…
      L’un des plus grands moments de la peinture aura été cette exposition sur la guerre en Irak. Mohamed Kacimi exposait ses toiles à la Galerie Al Manar. Le peintre couche des couleurs et des formes sur l’étendue de la nuit, celle qui frappe le monde. Ça et là des fragments, des particules humaines qui sont l’essence même de l’existence, déchiquetées. Il nous livre une humanité désemparée, des visages imaginaires passés à la chaux blanche de la haine, effacés par le meurtre et la cupidité. C’était là l’une des expositions du peintre les plus virulentes, les plus engagées, les plus humaines. L’homme y était disloqué, hagard, fou.  L’humanité y paraissait sous des haillons de vieilles reliques que l’on abandonne sur la route pour que le charnier prenne corps et que la folie festoie. Kacimi avait peint ce jour-là le sang de l’humain sur la surface plane d’un mur que rien ne pourra faire tomber. Le peintre avait jeté sur le monde un autre regard, encore un, toujours le même, plein d’amour, gorgé de passion… Un regard d’oracle.

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