jeudi 18 avril 2013

On achève bien les vieux au Maroc


Ils sont plus de 3 millions de personnes âgées au Maroc. 60 ans et plus, un âge ingrat où l’on est une charge sociale pour la famille. Au Maroc, les vieux survivent, dans l’oubli, la marginalisation et le rejet en attendant la tombe.

Le pire qui puisse vous arriver est de vieillir dans un pays comme le Maroc. A moins d’avoir bien assuré vos vieux jours, devenir vieux est synonyme de rejet, de marginalisation et d’errance. Et si la maladie s’en mêle, mieux vaut passer l’alarme à gauche sans trop attendre. Vieillir, c’est une mise au placard. Une attente dans le corridor de la gueuse. Un aller simple pour l’antichambre de l’enfer des jours tristes. C’est cela est rien d’autre la vie d’un homme ou d’une femme qui a dépassé 60 ans au Maroc. Sur plus de 3 millions de vieux que compte le royaume, combien ont une retraite décente ? Combien sont pris en charge par leurs familles sans pour autant être un fardeau au quotidien ? Combien sont SDF ? Et enfin quel pourcentage de vieux finit dans les centres d’accueil ?  

Fin de vie

Le fatalisme des Marocains est un garde-fou. Autrement, les nombreux vieux que nous avons rencontrés auraient eu un autre discours.  Tous acceptent leur sort. Mais ils n’arrivent pas à cacher leur désarroi et leur malheur. Ahmed  a 77 ans. Cela fait 17 ans qu’il n’a rien fait avec ses mains en dehors de jouer aux cartes. Depuis un an, il ne sort plus de chez lui. Rhumatismes, arthrites et d’autres difficultés respiratoires l’ont confiné à domicile. Même entouré de ses trois enfants, Ahmed se sent seul. Diminué, fragilisé, il attend d’être rappelé à Dieu. Triste fin de vie pour un homme qui  ne se doutait pas que  le crépuscule de sa vie allait être aussi horrible. C’est simple. Cet homme, comme des millions d’autres hommes et femmes, est livré à lui-même. Le constat est dur à faire. La réalité est que les vieux au Maroc sont le dernier des soucis des autorités. Autant dire, comme l’a affirmé un jeune sociologue, qui a requis l’anonymat, que « le Maroc tue ses vieux à petits feu»

Chiffres alarmants

Ils sont aujourd’hui plus de 3 millions de personnes qui ont plus de 60 ans au Maroc.  Presque 10% de la population. Selon le recensement général de la population de 2004, ils étaient 8%.  Ce chiffre est en évolution constante. Le Maroc est depuis quelques décennies en pleine période de transition démographique. Ce qui explique le vieillissement de la population et une augmentation de l’espérance de vie de plus en plus grande. Dans ce sens, selon les projections du Haut commissariat au plan, l’effectif des personnes âgées augmenterait de 3,5% par an entre 2010 et 2030, pour passer à 5,8 millions en 2030, ce qui représente 15,4% de la population.   

Comment vivent les vieux au Maroc ? Qui s’en occupent ? Qu’a fait l’Etat pour leur apporter le réconfort et les accompagner jusqu’à la mort ? Sur ce sujet, personne ne peut se voiler la face. Les réalités sont criardes. Les vieux trainent des jours tristes. Ils écument des existences morbides. Avant d’être mis sous terre. Pour certains, la mort est un soulagement. A la fois pour l’intéressé et pour sa famille. C’est que les temps ont changé.  S’il y a encore des familles qui s’occupent de leurs vieux, d’autres s’en lavent les mains.  Femmes et hommes se retrouvent alors seuls, pauvres, sans aides ni soutiens. Pour Jamal Khalil, sociologue et professeur à la faculté des lettres d’Aïn Chock à Casablanca, «le soutien familial aux personnes âgées, en réduction progressive, devrait être relayé, en principe, par un soutien social. La situation au Maroc est particulière. Alors que, dans les pays européens, les changements de la configuration familiale se sont effectués sur plusieurs siècles, au Maroc, il a suffi de quelques décennies pour se retrouver avec une progression exponentielle de la famille nucléaire et avec des attitudes de plus en plus individualistes. La société n’est pas préparée à accueillir dans de bonnes conditions les personnes âgées. Des solutions médianes devraient être envisagées en cherchant les moyens d’impliquer encore les familles.»

Noyau dur

Autrement dit, le Marocain a fait un bond dans la modernité, sans gravir les échelons de l’évolution socio-culturelle, avec ses fléaux, ses mauvaises surprises et ses situations difficiles à prévoir. On se retrouve donc avec un noyau familial éclaté et une inclinaison pour le chacun pour soi, qui ne relève pas de l’égoïsme, mais d’un impératif vital de s’occuper de soi. Dans cette équation à zéro inconnu, les vieux parents passent à l trappe. «je suis marié. J’ai trois enfants. J’ai un salaire qui me suffit à peine. Mon épouse travaille aussi. J’ai essayé de prendre mon père avec nous, mais au bout de quelque temps, cela devenait intenable pour tous. J’ai dû le confier aux soins d’une vieille tante qui vit toute seule », raconte Driss. M. 54 ans, professeur universitaire. On imagine alors le mariage des solitudes de ce vieux bonhomme qui partage aujourd’hui sa vie avec la sœur de sa défunte épouse dans une maison grande et vide, avec, de façon sporadiques, une visite du fils ou de quelques vieilles connaissances.

Centres mouroirs

La situation des enfants n’est pas enviable non plus. Quand on fonde une famille, on doit s’en occuper. Des fois, ce sont les grands-parents qui paient le lourd tribut de la vie moderne. Pour certains, il y a la solution des hospices. Mais au Maroc, la plupart des centres pour vieux sont des mouroirs à ciel ouvert. Aujourd’hui, on compte plus d’une trentaine de maisons de vieux.  La particularité de ces endroits est qu’ils n’abritent pas  que des personnes âgées que les familles ont fait admettre pour bénéficier de soins appropriées et de quelques jours paisibles en attendant la fin. Non. Pour la plupart, les pensionnaires sont des SDF, des personnes sans familles qui se retrouvent à trainer  et à dormir dans les rues. Dans ces hospices, il n’y a aucune prise en charge médicale. Quant aux  conditions d’hébergement, c’est très spartiate, pour ne pas dire en deçà de ce que nécessite une vieille personne. Dans le centre de Tit Mellil de Casablanca, les personnes hébergées sont dans un état lamentable. Pour la majorité, personne ne vient leur rendre visite. Certains meurent  dans le centre sans que personne ne vienne réclamer leur corps.  Même si la direction du centre tente d’apporter un tant soit peu de réconfort à ces vieilles personnes, le manque de moyens, le vétusté des lieux, la pénurie de personnel qualifié pour aider les vieux, handicapent la bonne marche d’un tel centre.

Prise en charge

L’autre corollaire de la vieillesse, c’est la fragilité de la santé. Qui dit vieillesse dit maladies. Les vieux accumulent les pathologies. Parfois ils se retrouvent sans le moindre soin. Faute de moyens. Faute de prise en charge. Cela va des maladies aiguës et chroniques, notamment les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, le diabète, le cancer, les maladies respiratoires, les atteintes articulaires aux maladies neurologiques et psychiatriques. Alzheimer, Parkinson, troubles psychiatriques, comme la dépression, ce sont là des maladies qui nécessitent, selon  Dr. Hachem Tyal, Psychiatre à Casablanca, «une surveillance et des soins appropriés ». Souvent, face à ce type de maladies, les familles qui n’ont pas les moyens abandonnent la partie et laissent mourir, dans un coin, un grand-père amnésique ou une grand-mère, touchée par la démence. 

Sans oublier, que dans bien des cas, le vieillissement induit la coexistence de plusieurs maladies. Ce qui nécessite une prise en charge médicale spécifique. Celle-ci fait appel, entre autres, à des gériatres, des infirmiers, des  diététiciens, des kinésithérapeutes, psychologues et des assistantes sociales. Pour accéder à ce type de traitement, il faut avoir de bons revenus. Ce qui est, dans la plupart des cas, loin d’être acquis. Quand on sait que la grande majorité des retraités au Maroc touche une pension de misère  souvent entre 400 et 1 000 DH par mois,  il ne faut pas se faire d’illusions sur les accès aux soins. Car, pour se faire soigner au Maroc, il faut avoir des moyens solides. Sinon, il faut s’arranger avec la maladie pour qu’elle vous laisse tranquille.

Ce qui pousse une grande partie des vieux à trainer dans les rues pour demander la charité. On parle pour une ville comme Casablanca de plus de 7000 mendiants professionnelle. Ils sont tous presque des vieillards, séniles, habillés de haillons, qui sillonnent le macadam des jours, la main tendue, un chapelet de remerciements rivé aux lèvres. Le constat est plus grave selon des chiffres officiels qui font état de plus de 77 000 mendiants uniquement dans l’axe Casablanca-Rabat-Salé. Où en est donc le gouvernement dans sa Stratégie nationale de lutte contre la mendicité (SNLCM), qui a démarré en mars 2007 ?
 La première enquête sur la mendicité, rendue publique en septembre 2007, démontre que le Maroc compte environ 195 950 mendiants. 51% parmi eux sont de sexe féminin, les deux tiers sont âgés de 40 ans et plus, et 80% pratiquent la mendicité dans les milieux urbains, notamment les grandes villes.  C’est dire que quand vieillesse rime avec précarité sociale, tous les cercles de l’enfer finissent par être franchis.  Comme le conclut un sociologue marocain, «entre solitude, fragilité, pauvreté et précarité, il ne fait pas bon être vieux au Maroc.»  

Quelques chiffres

Plus de 3 millions de personnes ont plus de 60 ans. 
Presque 10% de la population.
La grande majorité des retraités au Maroc touche une pension de misère  souvent entre 400 et 1 000 DH par mois.

  

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